« Sans Retour » à Emome’art : Passerelle Artistique vers l’Interpellation de l’Homme sur ses Responsabilités.

Placé sous le thème « L’art et la biodiversité, les corps pour bâtir un avenir Collectif pour toutes les formes de vie », la 6e édition du festival international d’arts plastique et performance du Togo, offre gratuitement depuis le 27 Juin 2024, des spectacles, des ateliers, des DJ sessions et des performances grandeur nature aux passionnés de l’art et autres curieux. Les artistes Viennent du Cameroun, du Bénin, du Togo, de la France, du Burkina Faso, des USA et du Nigéria et s’expriment dans les arts aussi variés que riche.
Ainsi, les festivaliers ont assisté le 29 Juin 2024 à la performance Sans Retour aux ateliers Eric Wonanu à Lomé. Exécutée par les performeuses Pang’Art du Cameroun et Ruby Orel de la France, Sans Retour a donné au public l’opportunité de se régaler devant une oeuvre d’art qui allie le body painting, la déclamation et un jeu unique avec le corps.
Dans cette performance aux allures sombres, les problématiques connexes de la reconnexion, de la réconciliation, de la mémoire de la colonisation et des séquelles de ce passif se tissent. Les artistes utilisent leurs corps comme des tribunes d’expression pour envoyer au monde le message de la remise en question . Le public est tenu en haleine par ces professionnels de la scène qui dans une logique multiculturelle, transculturelle et transmediale, balisent le chemin de la traversée, de la circulation identitaire, d’une culture de la mise en commun.

La Performance Sans Retour est un duo entre la française Orel Ruby et la Camerounaise Pang’Art, sur une création de la française. Sans Retour pose la question de la colonisation, mais du point de vue d’un descendant de colonisateurs. Elle questionne les possibilités de guérison, de réparation du tort. Le corps, les couleurs et les mots, sont mis à contribution dans une scénographie à l’air libre qui suggère ce désir de retour à l’essentiel, de connexion avec la nature. Pour Ruby, les mots peuvent tuer autant qu’ils peuvent guérir. Et dans sa démarche artistique, elle fait le choix de les utiliser pour guérir. « Parfois, déclare-t-elle, même si on ne peut pas comprendre exactement cette idée de retour au pays natal qu’écrit Césaire, on peut tout de même chercher un pays qui, même s’il n’est pas le sien, pourrait représenter un pays natal qui ne serait pas un pays délimité par des frontières, par un drapeau, par une nation, mais qui serait un pays humaniste dans lequel l’art serait un langage commun à tous. » C’est donc une poétique de la relation à la Glissant, en vue de créer une nouvelle région du monde qui ne s’arrête pas aux individualismes égocentriques, mais pense l’ouverture en panse les plaies des ratures d’hier.

Sans Retour projette alors l’initiative d’un village planétaire, le côté mise en scène en moins, où l’en-commun primerait sur les restrictions et les censures de nature à créer des clivages et des stigmatisations. Ruby travaille sur les questions de sensations. Elle essaie d’en explorer la complexité. Comme elle dit : « J’essaie de peindre la complexité des choses. ».

Dire pardon c’est simple, mais arriver au constat de la simplicité de dire pardon est une entreprise compliquée. »

Orel Ruby

Mais Sans Retour va plus loin pour se positionner comme le support d’une philosophie sous jacente, celle du questionnement des rapports humains. Elle introduit la notion de l’humilité et de la simplicité à travers le pardon, quoiqu’il ne soit pas toujours à évident . En son sens, « dire pardon c’est simple, mais arriver au constat de la simplicité de dire pardon est une entreprise compliquée. »

Sans retour adresse les questions de mémoire, de réparation, de la domination. Ruby interroge « quand on est issu du peuple dominé, quelle posture peut on avoir par rapport à l’histoire coloniale, qui soit la bonne posture, la bonne attitude? »
Ce questionnement vise à poser le bon diagnostic pour mettre l’être à l’endroit idoine. Toutefois, ce n’est pas quelque chose d’évident.
Dans un monde où les majorités dominantes se défendent perpétuellement, où elles font pratiquement une inversion de culpabilité ou se victimisent quand les opprimés demandent réparation, Sans Retour se pose comme la passerelle artistique vers l’interpellation de l’Homme sur ses responsabilités.
Dans cette performance, le sujet de la colonisation est un prétexte tout trouvé pour aborder en même temps la problématique de la domination dans un large spectre. C’est dans cette logique quelle questionne aussi le patriarcat.

L’idée du duo entre la Française et la Camerounaise, entre la « Noire » et la « Blanche », entre Ruby et Pang’Art, introduit la notion de la rencontre, du partage. C’est ce qui justifie l’utilisation commune des couleurs noire et blanche, un peu comme pour suggérer une communion de destin et l’importance pour chacun de reconnaître son tort pour que la réparation aboutisse au règne d’un réel vivre-ensemble, d’une diversité complémentaire. Ruby affirme que c’est à l’issue d’une rencontre très intense avec la performeuse Camerounaise, à Emome’art au Togo, que l’idée lui est venue de faire cette expérience. « Je me suis dit que la notion de performance, c’est-à-dire de l’engagement du corps au-delà des mots, pouvait apporter quelque chose aux propos du texte. Pang’Art travaille sans les mots et moi je travaille avec les mots. Il y a quelque chose qui vient se compléter. Et je lui ai demandé si elle acceptait de venir agir sur mon corps avec la peinture pendant que je disais mon texte, pour que celui-ci induise une sorte de combat, mais qui serait aussi une danse de réparation, un entremêlement des corps. À la fin, nous avons décidé de nous peindre l’une et l’autre d’une couleur noire et d’une couleur blanche, et d’entremêler nos corps pour entremêler cette histoire en vue de sa réparation dans une douceur qui vient après la lutte, après la douleur, après les mots. »

Pang’Art au fond n’est pas la première camerounaise dont la présence et le travail captivent Ruby: « Je m’intéresse beaucoup à l’idée de blanchité dont parle l’écrivaine Leonora Miano, et qui renvoie au fait de ne pas utiliser le mot blancheur ni celui de blanchitude mais de parler de blanchité qui permet de questionner le rapport de domination. »

Le Duo féminin vient aussi assoupir le désir de sororité et de féminisme. « En tant que femme, même si je suis issue de la blanchité, je considère que je peux comprendre l’oppression du fait d’être une femme puisque quel que soit le peuple, les femmes sont toujours une majorité opprimée. Et que les femmes peuvent être un prisme par lequel la réconciliation et le pardon se font, si jamais on leur en donnait le pouvoir. »

Au bout de cette collaboration, de cette performance artistique mais aussi pédagogique, la note de fin est celle de satisfaction, déjà du public mais aussi des artistes. Pang’Art voit en leur performance une autre opportunité de questionner le réel, de faire la route ensemble suivant des paradigmes nouveaux. Ruby quant à elle se dit ravie : »Je suis absolument ravie d’avoir inventé cette performance avec Pang’Art. C’est une très belle rencontre et je pense qu’elle va nourrir de nouveaux projets. Je serais très heureuse de pouvoir la refaire en la retravaillant, en la repensant plus précisément et de mettre en place d’autres projets, peut être un collectif artistique qui regroupe des femmes artistes internationales, pour réfléchir à toutes ces questions « 

Emome’art, et c’est officiel, se pose désormais comme le grand comptoir de rencontre, de partage et d’élaboration d’autres perspectives de collaboration.

Preston Kambou, 695521762

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