Et si face aux producteurs des poubelles nous militions pour un univers plus sain?

L’AFC de Dschang accueille depuis le 17 Octobre 2024 la troisième édition du Festival International Reconnection. Pour cette édition, le thème retenu est « Changement climatique, pharmacopée traditionnelle et art: la protection de la nature face au développement et ses conséquences sur la santé publique« . Dans ce monde où la destruction de l’écosystème semble être le sport favori de beaucoup, il faut bien qu’on s’arrête pour s’interroger et éviter le chaos. Le thème résonne en moi une opportunité de donner de la voix pour questionner les possibilités de faire autrement.

Artiste Tchadien invité au Festival

Quand il est question d’art, quand la culture est le sujet, quand de protection de la nature on discute, je suis toujours très intéressé. J’aurais aimé y être depuis le premier jour. J’aurais été heureux d’assister à la parade d’ouverture qui , m’a-t-on rapporté, était grandiose; j’aurais voulu me satisfaire de l’expérience de passer quatre jours dans un festival d’art contemporain pour découvrir d’autres performances, d’autres artistes. Malheureusement, je n’ai pas pu être là pendant les deux premiers jours. J’ai ainsi raté une grande Table ronde et les échanges puis les débats qui s’en sont suivis autour du thème du festival. J’ai manqué au verbe et à la sagesse de Sa Majesté Innocent TOUKAM, Sa Majesté le Dr Pierre Marie METANGMO, Sa Majesté le Dr BINGONO BINGONO, le Dr Ruth BELINGA AFANE et de M. Piko ASSONGNI, manqué d’apprendre de l’art de modérer les conférences distillé par le Pr Alain Cyr PANGOP KAMENI, mon encadreur. J’ai aussi manqué la première du film documentaire Meffo Mbo’o Lah de Rihanno Mars. Oui, vous avez raison: trop de choses manquées.

Je me suis fait raconter tout celà avec les détails les plus menus. Mais quand on a manqué un gala, lire même les menus détails des recettes utilisées pour concocter les plats ne vous fait pas profiter des saveurs des plats. J’ai pleuré, je o’avoue. Mais de ces pleurs de détermination qui vous disent  » Eh bah, tu dois absolument être là pour la suite. »

Le long voyage du Sud à l’Ouest du Cameroun m’aura eu hein ( 😂 )! Waaar, ces affaires de transport en commun ne m’aident pas tellement. On te dit que le bus part à 15h et c’est à 16h qu’on vérifie si le but de 14h a quitté la gare. Et en plus c’est Ticket VIP. Devinez un peu quel est le sort qui vous serait réservé si vous souscriviez à un voyage classique !! Je vous fais grâce du reste des tracasseries, même quand on prend un Ticket VIP. Enfin, bref, c’est deux jours après que je fais enfin mon entrée dans la ville cité des savoirs, devenue pour la circonstance ville cité des arts. Le désir de faire le plein d’énergie, le plein de découverte et le plein de retrouvailles, la motivation qui se dégage du thème et la richesse des activités prévues, tout celà me remplit d’un certain entrain. J’ai en plus le plaisir de retrouver quelques amis de longue date.

Le taximan qui me transporte me demande 200frs de plus pour me déposer devant le palais de justice « Eh mec, mais c’est du racket ça ! » Que je lui balance. « Mbom, c’est avec l’eau que je remplis mon réservoir, ou la pause que je fais aux mboms de la police municipale là, c’est seulement les cailloux ? On est dehors pour waaar comme ça que pour falla les doos non? » Je veux encore parlementer mais m’en abstiens. Il me dépose devant le palais de justice, ce fameux palais de justice. C’est, selon une passagère, Bayam Selam, revenant de Mbouda où elle était se ravitailler en fruits noirs dont elle fait sûrement commerce, le meilleur chemin pour vite parvenir aux chutes de Folepe où a lieu la première performance du jour. Ne vous demandez pas pourquoi c’est en taxi que j’arrive alors que j’ai acheté un ticket VIP de Yaoundé. Les VIP de l’agence sur laquelle j’ai jeté mon dévolu ne desservent pas Dschang. Une fois à Bafoussam, on se bat. J’en ai donc profité pour faire un détour par le village et c’est donc de Mbouda que j’ai pris le véhicule pour Dschang. Les détails prendraient vraiment du temps. Si je dois parler du mec qui m’a bousculé de sa moto, des tiraillements des chargeurs, du conducteur de taxi qui m’a cassé les tympans tout le trajet durant de sa collection de Mbole, walaï, on n’en finira pas. Autant tout simplement dire que je suis arrivé.

9h50 le taxi gare. Rapidement je m’acquitte des frais de transport et mets pied à terre pour qu’aussitôt les conducteurs de motos se bousculent pour me proposer leurs services. Je m’apprête à m’attacher les services de l’un d’entre eux. La dame de tout à l’heure s’interpose .  » Je dis hein mon fils, tu veux prendre la moto pour aller où ? Pourquoi vous les enfants d’aujourd’hui vous aimez jeter l’argent par la fenêtre comme ça ? Folepe n’est même pas un peu loin. Il suffit juste de traverser le mur de la prison que tu vois là et derrière tu es à la chute. C’est inutile d’emprunter une moto!! ». Je lui dis merci et m’engage sur le bras de route de terre qui bifurque entre deux haies de Bambous de Chine.

Il fait frais ce matin. Le soleil ne semble pas motivé à sortir de son logis de si tôt.. Les oiseaux chantent et voltigent avec assurance. Ce qui est tout à fait le contraire chez moi. J’avance le pas hésitant, ignorant à vrai dire où cela va me mener. Je me renseigne chez une première personne qui m’indique à sa façon, dans des termes entièrement à l’opposée des indications de la dame des fruits noirs; un deuxième patient ne daigne même pas répondre à mon bonjour. Le troisième non plus. Les deux semblent trop pressés pour dire mot, pour perdre leur temps à renseigner un touriste de fortune qui ignore son chemin. Le quatrième a tout son temps pour m’indiquer mon chemin. Seulement, à la fin, il me fait savoir qu’il n’a jamais été aux chutes et que c’est la veille qu’on lui aurait indiqué ce chemin qu’il n’a pas encore emprunté.  » C’est mieux que tu te renseignes ailleurs » ponctue t il, sentencieux. « Merde » que je me dis. Je suis confus. Alors, je décide d’appeler l’un des organisateurs du festival pour me faire orienter. C’est le numéro de Dieuzyl que je compose. Ça sonne, mais il ne décroche pas. Je continue d’avancer vers la prison, troublé quand fort heureusement mon téléphone sonne. Le nom de Dieuzyl s’affiche à l’écran. Je décroche avec précipitation : » Allô frangin. Bienvenu à Dschang. Je pense qu’il serait mieux que tu nous retrouves à l’AFC pour qu’ensemble des autres artistes on prenne le petit déjeuner » suggère-t-il quand je lui donne ma position. « Ça marche. Je ne suis pas bien loin de l’Alliance » est la réponse que je donne en avançant vers le village du festival.

Salle Manu Dibango

L’Alliance Franco Camerounaise est dans un décor nouveau. À l’entrée, un podium avec au fond une décoration présentant deux toits coniques recouverts de pailles, aux murs de terre et de lianes. Au milieu le logo du festival reconnection invite au voyage. Le rebord avant du podium porte en lettres de sang Vivez la troisième édition du festival International Reconnection. Sur le podium, un orchestre est posé.Plus loin, des expositions de colliers artisanaux, de vêtements, de chaussures. De part et d’autres se dressent des stands. Après la plaque qui indique la salle Manu Dibango, je vois des festivaliers disparates qui parlementent. Un visage familier m’accueille, celui du régisseur son et lumière de l’Alliance, Eli.  » Ça fait longtemps ! » Me lance-t-il en guise de mot de bienvenue. On se salue et je fais mes civilités aux personnes en sa compagnie. À la question de savoir où je peux trouver Dieuzyl, il me dit n’avoir aucune idée. Je décide de le joindre par téléphone.Mais c’est mort aux première et deuxième tentatives. Le réseau téléphonique fait des siennes. J’en suis habitué. C’est « le comme ça du continent. À la troisième tentative, ça sonne :  » Je me suis déplacé. Mais j’arrive sous peu », me dit Dieuzyl.

Dieuzyl

En regardant par le bâillement de la porte de la salle Manu Dibango, j’aperçois un tableau. » Il y a une expo il me semble? ». Eli me répond par l’affirmative. Alors j’entre dans la salle de l’exposition et commence à visiter en silence. La note du commissaire d’exposition Stanis Nandjio me situe sur le titre de l’exposition Agir et se découvrir grâce au langage des poubelles, et sur les noms des artistes exposés. Il s’agit de Dieuzyl Temdjeu, Marios Kenfack, Souhayla Er Rahouy, Winnie Songmene, Franklin Jeazet, Stanis Nandjio et Guillaume Yanga. Leurs œuvres ont en commun ce devoir d’interpellation, le vœu de sensibilisation sur les dangers de la dégradation de la nature.

Les artistes viennent d’horizons divers. Mais chacun à travers son art, ses vibrations et sa démarche artistique particulière, prête sa voix à l’orchestre du vivant pour créer la mélodie philharmonique qui parle au monde. Les pieces sont différentes, particulières et porteuses de messages divers dont le point d’achoppement reste le désir d’agir, ou d’inviter à l’action pour se découvrir grâce au langage des poubelles. Les supports sont du bois, du plastique, du feuillage, des déchets récupérés, des fibres végétales, des mégots de cigarettes, des fils de fer,cdes restes de pneus usés… travaillés selon la technique et les sensations de chacun pour poser un regard sur le nouveau monde et ses errements.

De manière succincte, l’exposition présente un grand tas de poubelle au centre, au dessus de laquelle pendent, fixés au plafond, des corbeilles, des cageots aux nervures de bambous, des feuilles sèches de bananiers, du fil à tricoter. Tout près de ce tas d’immondices, des caméras défectueux. On compte également des trois marionnettes géantes placées ça et là. Sur les quatres murs, les pièces des différents artistes.

Les visiteurs qui arrivent ici ont chacun son idée sur les œuvres, encore que les parcours sont différents, ce qui enrichit l’appréciation des pièces. J’ai rencontré Aïssatou, une étudiante aussi belle de l’extérieur que de l’intérieur. Venue regarder un spectacle de conte, elle a pris le temps de faire le tour de l’exposition. Je l’ai vue prendre des photos, inspecter chaque tableau avec cette minutie qu’on ne connait souvent qu’aux critiques d’art, mais avec au fond des yeux cette lumière de l’innocence et de l’admiration non feinte qu’on ne connait qu’aux enfants. « Quelle belle énergie! Me suis je ecrié. Une fois qu’elle a fait le tour des pièces, je l’ai vue essayer de se faire un selfie🤳🏼.

_ » Besoin d’un coup de main ma sœur ? »

_Oui, avec plaisir !

Je lui ai rendu ce service, ou pour dire vrai, on s’est rendu service. Elle m’a égayé de son sourire qui est venu mettre un peu plus de lumière dans ma journée que la fatigue déjà rendait sombre. Rayonnante comme le Soleil, Aïssatou a fait oublier qu’à Dschang il pleuvait et qu’il faisait un froid de canard. Sa beauté est d’or. Je dirai. Même que ses parents sont des Orfèvres. Et la grâce qui l’accompagne, cette facilité à offrir à l’autre ce qu’elle croit peu et qui pour moi est au dessus de l’assez. Elle m’a montré comment filmer en utilisant l’application Snapchat, que je n’avais jamais utilisée auparavant. De fil en aiguille, la conversation s’est nouée.J’ai redécouvert à travers cet instant de communion le vrai sens du partage. J’ai compris pourquoi mon père disait qu’on gagne toujours beaucoup à être serviable.

Pour la petite histoire, Aissatou est passionnée de l’art. Sa formation celle d’économiste mais elle a cette âme d’amoureuse de l’art et son doigté dans l’analyse des œuvres laisserait Beaucoup béat d’admiration. Je n’ai pas manqué d’engager la conversation et fort heureusement car d’avoir échangé avec elle m’a inspiré d’autres pistes de compréhension de l’oeuvre de Marios Kenfack.

_Qu’est ce qui te parle le plus dans cette salle ?

_ ( Sourire) Beaucoup de choses. Mais ce qui me renvoie à des souvenirs précis ce sont ces tableaux là ( elle indiquait les toiles de Marios Kenfack).

_Ah bon? Et qu’est ce qui te parle donc tant sur ces œuvres ?

_ Les masques, les couleurs. En fait , en regardant ces tableaux, je me retrouve dans mon enfance. Je voyage sur place. Je suis à l’école, je suis au quartier, je suis avec amis d’enfance, je suis partout dans le passé. J’ai 8 ans ou 10 ans, je suis dans la Maison familiale, je déambule entre ces masques accrochés au mur. C’est des souvenirs d’enfance qui arrivent en grappes, comme ces jets d’eau décoratifs que l’on voit à l’entrée de certains espaces touristiques. C’est des moments d’une grande charge émotive. Je vois ces tableaux et je pense à ces masques, tu sais, que nous voyons dans les cérémonies funéraires ici chez les Bamileke; je vois la Culture en action, mais agissant autrement d’un tableau à l’autre, vibrant différemment au fil des œuvres.

_Et qu’est ce que ça te dit au fond ? Quel message se cacherait derrière ces couleurs, ces formes…?

_ Je ne sais pas si c’est exactement celà. Mais je vois qu’il y a comme deux types de tableaux chez le même artiste : les uns montrent un revêtement entier quand d’autres exposent une sorte d’esthétique de l’inachevé, un peu comme si l’artiste avait voulu inviter à un temps d’arrêt, à une pause…Je regarde bien et on dirait que ces masques qui ont du mal à être visibles sont le symbole suggéré de la culture fondamentale qui se meurt sous le poids de nos diverses saletés. Les traits des masques disparaissent derrière les mégots de cigarettes que j’analyse comme le signe de la pollution de l’homme car la nicotine donne le cancer, et de la pollution de la nature avec la fumée qui va se loger dans la couche d’ozone et l’empêche de respirer. Il y a donc un désir de mettre les immondices en exergue et peut être plus. Si je peux pousser la réflexion plus loin, je penserai à une autre forme de saleté qui est symbolique mais fondamentale : c’est le mauvais cœur, la haine, l’absence de compassion, le refus de pratiquer le pardon, l’aigreur, la Jalousie… Je penserai aux produits chimiques et à tout ce qui ne respecte pas l’ordre des choses… Le masque, symbole de la culture, est à chaque fois comme englouti par les déchets qui pullulent de partout. Mon a analyse est que le plasticien utilise la technique du collage pour nous faire comprendre que le naturel et l’être profond c’est la Culture; une culture sur laquelle nous avons collé et continuons de coller, des déchets qui viennent la défigurer et l’étouffer. Il serait peut-être temps, et c’est là le sens de l’inachèvement, de se poser et de se questionner pour ne pas perdre entièrement notre culture, notre patrimoine, nos repères et notre identité. En fait, c’est ce que je pense hein. On dirait que les poubelles regroupées ici sont un moyen de militer pour un univers sain: il faut œuvrer pour le changement.

Son sourire illumine encore la salle. Et là je me dis waouh !! Je suis tout simplement conquis.Cette rencontre se fait en soirée et me sert de rappel mémoire pour revivre les articulations de la journée.

Je me souviens du parcours de combattant qui nous a conduit aux chutes de Folepe. L’humour facile de cette jeune dame que nous avons croisé au quartier qui abrite les chutes et qui en guise d’accueil nous a lancés « Notre quartier est difficile, mais nous avons les chutes Haha ». Je l’ai regardé un instant, devant sa maison aux murs couverts de lézardes. Près d’elle deux gosses au torse nu m’auraient inspiré de la pitie sans cette joie de vivre, cet optimisme dans les paroles de leur génitrice. J’ai regardé et j’ai vu en eux de futurs grands hommes de ce pays car être auréolé par autant d’énergie positive ne peut que prédestiner à de grands destins.

Nous avons évolué vers la source de la chute qui déjà grondait au loin. Christian Etongo a offert sa performance Danse sacrée entre Ciel et terre. Le visage paint en bleu, dred locks, tenue noire, les pieds nus, l’artiste avance vers la chute, tenant en main une fleur et une branche d’arbre. Il aurait voulu avoir une branche de l’arbre de la Paix mais à défaut il utilise cette branche non sans la revitaliser en symbole de paix. Il avance dans une sorte de procession en jetant du sel sur son chemin. J’entends encore la chute gronder toujours plus fort au fur à mesure qu’il avance. Je le revois s’incliner devant l’autel du lieu sacré et psalmodier des paroles précises. Il avance sous le regard mi admiratif mi médusé du public. Il jette du sel, élément de purification, ingrédient de reconnexion, un peu comme pour redonner à l’eau ce qui lui appartient. Il parle avec l’eau, il s’adresse à son esprit pour proposer une procession nouvelle entre ciel et terre. Au ciel qui est ici le logis des divinités il demande ouverture ( c’est le sens du bleu), bénédiction, protection. Il propose une danse, comme qui dirait une messe d’action de grâce, pour purifier l’humain. Il avance, psalmodie de plus en plus fort et vite. Comme happé par quelque force invisible, il accélère le pas, puis le rythme. La performance connait un Climax. Tout s’arrête et seul le bruit de l’eau s’entend à présent. L’eau gronde. On entend comme une voix d’outre tombe tonner. Christian Etongo lance la fleur et les branches dans l’eau qui coule. Il parle encore, dans cette voix plaintive et caverneuse, dans la posture de celui qui supplie , de celui qui implore quelque chose, de celui qui naïvement et humblement demande pardon.

Au bout d’un moment, les eaux semblent se calmer. Le débit de l’eau est redevenu normal. Les ancêtres ont ils reçu le message ? Ont ils accédé à la requête ? L’artiste se rapproche des beiges à présents. Il est reposé, calme. C’est la fin de la performance, on peut retourner sous l’arbre ou l’on s’est arrêté en arrivant.

De retour au village du festival, nous assistons à l’atelier Comment présenter un concert grand public en 5 points, animé par Fidjil. Un atelier qui promène les participants dans les couloirs concrets de l’activité de master of ceremony. Le formateur évoque son expérience personnelle, parle de la préparation, de l’anticipation, de la pro activité, de la gestion du stress et plus encore. En gros, c’est un moment d’échanges avec des participants particulièrement actifs et passionnés qui à la fin disent tous leur satisfaction. On a parlé de 5 points pour devenir MC, finalement ce sont 4 points qui seront déroulé. La nature ayant décidé autrement en envoyant la pluie sur le podium. Le 5e point étant la pratique sur le Podium, impossible de le faire. Cette réalité attire l’attention de beaucoup qui font le lien avec le thème du festival.  » La nature est fâchée contre l’Homme. Elle n’aime peut plus de son attitude de délinquant! » balance un participant en rigolant. Mais la blague ne prend pas. Tout le monde est pensif, méditatif. Un peu comme pour dire » il faut vraiment que nous écoutions la nature ».

Au jardin d’Éden de Ruth Belinga

L’atelier est fini. Le ciel s’assombrit, les lucioles sont de sortie et voltigent pour déchirer le drap épais des ténèbres qui progressivement recouvrent le village du festival malgré les faisceaux insistants des néons. Les bestioles du lac Municipal de Dschang installent leur orchestre et jouent du Mangassa sur une d’Ambass Bey. J’entends de temps en temps résonne un gong, un balafon, un djembé, une harpe. C’est la mélodie du monde réuni qui se compose sur les berges du lac invite à une grande danse du partage sur le pont du Plaisir. Non loin, comme pour faire échos à ce chant de la Nature, Ruth Belinga débute « Au Jardin d’Éden« . Le visage peint en blanc, un pagne blanc ceint autour des hanches, l’artiste apparaît sur scène tenant une planche marquée. Un son de la forêt l’y accompagne : bruissement, craquement de feuilles, eau qui ruisselle, cri étouffé. Les ancêtres ont rejoint la scène, ils y dansent de Nsil Awu, ils questionnent le vivant sur les causes de la mort programmée de la nature.

Belinga tient entre ses mains un morceau de bois mort gravé aux codes barres. Ce bois défunt interroge lui aussi les raisons pour lesquelles on lui a infligé ces technologies de l’impression laser  et du transfert thermique, lui qui aurait voulu rester connecté à soi, connecté aux siens et vivre sa vie sans plus. Ce morceau e bois marqué comme l’esclave au fer rouge s’insurge contre le dysfonctionnement de la nature induit par les technologies nouvelles portées vers le capitalisme. Il pleure des larmes de résistance étouffée, il pleure les larmes d’une lutte qui le donne perdant alors même que les siens et lui n’ont pas encore dit leur dernier mot.

L’artiste elle a compris. Elle a compris qu’il faut pour le sort des siens faire pénitence. Alors, elle performe assise sur un tronc d’arbre sur lequel on a planté des clous. Elle dit sans user de mot : « Regardez comme la douleur de l’arbre est mienne ; regardez comme la blessure de la forêt est mienne ; regardez comme un arbre qui saigne est un Homme qu’on saigne ». Elle fait pénitence, dans une communion de destin avec les forêts qu’on détruit, dans un union de destin avec les eaux qu’on pollue, avec une union de douleur avec l’Univers qu’on déstabilise. Ruth Belinga est « Au Jardin d’Éden », au jardin du début selon les Écritures. Et elle espère que ce retour à la source pourrait apaiser les cœurs, mais mieux offrir les pistes de la réparation de ce génocide systémique amorcé.

Elle joue le personnage féminin de qui tous se jouent, mais qui refuse le musellement malgré le poids des stigmatisations et des frustrations sociales. Mise au banc de la société, traitée de sorcière, elle résiste. L’artiste endosse le sort de cette femme dont on viole le destin, de cette fille qu’on abuse mais qui désormais ne peut plus se taire, de cette gent féminine qui désormais prend la parole non seulement en son nom, mais aussi au nom de toutes les femmes et de tous les arbres que l’on saigne sans jamais les écouter crier, pleurer, mourir. Elle endosse fièrement le qualificatif de sorcière dont on l’affuble en société à cause des pesanteurs sociologiques, car la désobéissance, (dira-t-on artistique ?) est le seul moyen de briser le plafond de verre et de dire la souffrance de la femme et celle de la nature. Elle se refuse de respecter et d’observer ces codes qu’on veut lui imposer comme une camisole de force qu’on enfile; elle veut en inventer les siens propres, ceux là qui ne musèlent plus la femme, ceux là qui mettent le doigt là où ça fait mal, ceux là qui respectent les fondamentaux. Elle accepte donc de souffrir le martyr pour espérer libérer les siennes, mais aussi libérer Mère Nature de tous ces abus qu’on lui fait subir : Discrimination, stigmatisation, abus, viols, déforestation, machisme, pollution tout est exposé et dénoncé sous une musique incantatoire qui suggère expiation, qui propose la libération de la femme, qui vise la régénérescence de la Nature. Elle sait que l’action devrait être physique, mais encore plus rituel, cosmique, spirituel. Elle a fini de faire le rituel edenique et se prépare à quitter la scène. Les spectateurs s’interrogent. Chacun aura compris ce qu’il aura voulu comprendre. Combien ont vu en celà une communion avec les forces du mal? Combien ont dû sortir de la salle pour ne se faire « posséder »? La réception est toujours diverse car l’art est comme le monde : il transmet des émotions et des vibrations diverses et ondoyantes. La musique vient de s’arrêter dans la salle. Mais comme la nature a horreur du vide, un son de tambour résonne à l’extérieur et comme s’il fut l’appel du muezzin, il suffit pour disperser le public qui chacun muni de sa chaise, tel un musulman et son tapis de prière, se dirige vers la source du son. C’est le grand soir au village qui commence, c’est la danse Kana qui se déploie

Le Kana à la reconquête à la maîtrise des éléments

La soirée se poursuit par la prestation de la danse patrimoniale Kana. C’est un spectacle qui se fait autour du feu, avec des participants de diverses races, assis en spirale autour du feu pour regarder les artistes à l’œuvre au centre. La figure du cercle est très présente ici, depuis la disposition des morceaux de bois jusqu’à la scénographie complète qui intègre des cercles de sel tracés sur le sol pendant la danse, la forme du tamtam, du tambour ou même du double gong, la forme du panier dans lequel on met de l’eau qui miraculeusement ne s’en échappe pas malgré les trous, de la disposition des danseurs entre autres.

Les artistes chantent et dansent, mais surtout montrent leur capacité à dompter le feu et à transcender les lois dites rationnelles. Ainsi, on les voit réussir l’exploit de mettre de l’eau dans une corbeille à trous, se coucher sur du feu ou encore décapiter un coq avec des dents avant d’en extraire entrailles et de s’en empifrer sans cuisson préalable. Les spectateurs réagissent diversement. Beaucoup crient, se cachent les yeux derrière leurs mains. Mais ils ignorent que la suite est encore plus Incroyable.

Le plus spectaculaire dans cette danse est en effet l’épreuve de la cuisson du coq dans de l’huile bouillante. Après l’avoir plumé et découpé, on en plonge les morceaux dans de l’huile mise à chauffer dans une marmite. L’huile chauffe à 100° mais c’est à mains nues que l’on retourne la viande jusqu’à la cuisson. Quand on estime que c’est cuit. Chaque joueur, selon son grade et son rang au sein de l’association Kana, plonge la main dans cette marmite d’huile de palme bouillante pour récupérer le morceau qui lui est dû. Une fois qu’on s’est régalé, on peut passer à autre chose. La danse peut continuer avec des chants interpellateurs sur l’humain, sur la vie et ses péripéties, sur le vivre ensemble, sur le visible mais aussi l’invisible. La danse Kana obéit aux rouages demu chant, de la danse, de l’art chez le Bantu. L’art n’est guère ici uniquement outil de divertissement : il est instrument pédagogique. Ce qui s’amorce dans le Kana se poursuit dans la performance d’après : la performance incantatoire et expiatoire d’Éric Yakana.

« Bougaga » d’Eric Yakana

L’un des temps forts de la soirée est celle où le performeur Baga Yakana Eric plus connu sous le nom de scène d’Eric Yakana entre en scène pour jouer  » Bougaga » un pièce multimédiale qui intègre chant, danse et de musique expiatoire. La performance en elle-même est un spectacle ponctué de silences et de paroles qui transportent les spectateurs sous d’autres cieux et les pousse à explorer d’autres horizons. L’artiste questionne l’existence et le fondement de ce qu’on nomme « civilisation » et qui au fond n’est que division, régression, agression de l’humain, destruction du vivant. Si nous nous revendiquons tous de Dieu, si nous disons être fils et filles de Dieu, il apparaît que les actes qui s’en suivent ne traduisent que très mal notre sincérité dans nos déclarations.

Yakana a du mal à plonger dans sa langue , le Gounou » des Yambassa du Centre Cameroun pour en extraire les termes tantes, oncles, cousins, cousines, neveux, nièces …qui sonnent comme des fils fabriqués par l’ailleurs pour attacher ici les membres de nos familles isolement. Il est nostalgique de ces heures, pas si lointaines, où l’enfant appartenait à sa communauté qui en assurait l’éducation ; nostalgique de ces jours où enfant, il pouvait se nourrir des fruits en attendant que la cuisine soit faite à la maison. Aujourd’hui, tout est détruit et la nature qui en souffre le fait payer à l’humain. « Bougaga » qui signifie Force en Gounou, est une invite à la remise en question, à la Reconnection. Se reconnecter passe chez lui par la danse, le chant mais aussi par la chorégraphie. La suite logique de la soirée, c’est la troupe à Tombé qui nous la donne à travers  » L’épée du pardon » un spectacle intermédial.

L’épée du pardon

Mise en scène par Tombé Franklin qui en est l’auteur et le conteur L’épée du pardon est un spectacle pluridisciplinaire si l’on veut, ou multimédial si l’on préfère, qui met en scène l’histoire de Ninbong et de Nintepong dont la trame repose sur l’expérience d’une longue amitié rompue par l’aigreur et la jalousie de Nintepong. La réussite du premier est mal vue par le second qui fera tout pour provoquer sa chute. En effet, le dérèglement climatique entraîne la folie du temps. Le soleil ne brille plus, il brûle. Et Ninbong sollicite l’aide de son ami de longue date Nintepong pour protéger son colatier. Il lui prête une calebasse dont il se sert pour protéger son jeune plant des affres du soleil. Celà marche et le colatier réussit. Seulement en poussant, la plante passe à travers la calebasse et en prenant de l’âge rend la récupération du récipient impossible. Jusque-là il n’y a aucun problème. C’est quand l’arbre donne des fruits et surtout des meilleurs et que son propriétaire fait fortune grâce à cela que Nintepong se rappelle de ce qu’il lui faut absolument récupérer sa calebasse. « On casse? » Propose l’ami. « Jamais ! » S’obstine l’autre. Ce qu’il propose et obtient au final c’est qu’on coupe l’arbre. Sur ces entrefaites, l’amitié des deux commence à battre de l’aile. Ninbong se reconvertit, lui l’ancien riche devenu pauvre, en fabricant et vendeur de colliers en perles.

Plus tard, Nintepong est père d’une fille, très jolie qui malheureusement pleure tout le temps. Aucun traitement n’est trouvé au niveau de la médecine moderne et c’est chez l’oracle qu’on ira trouver solution. « Va chez Ninbong lui demander de fabriquer un collier avec les meilleurs perles et sur avec amour et passion » lui recommande l’Oracle.

Il va voir Ninbong qui de bon cœur lui fera cette faveur. Une fois le collier sur son coup, la fille cesse les pleurs immédiatement. Le temps passe et elle grandit, plus belle que toutes les filles du village, la fille de Nintepong a le prince pour prétendant. Le jour du mariage, tout le monde est là. Mais n’a daigné invité Ninbong. Mais Ninbong est renseigné, comment pourrait il en être autrement puisqu’il est un ancien riche? Alors il se pointe et appelle Nintepong. Il lui dit donc qu’il est venu récupéré son collier. Nintepong lui propose de retirer. Mais c’est impossible car comme le kolatier, la fille a grandi. Nintepong propose de couper le collier chose que Ninbong refuse. Comme pour le kolatier, il faudrait qu’on décapite la fille pour récupérer le collier. Ninbong se munir de sa machette mais au moment de passer à l’acte, il s’aperçoit qu’il est inutile de rendre le mal par le mal. Son épée sera donc celle du Pardon.

La soirée se termine par une belle prestation du Septentrion. Il est 23 h 50. Il faut y aller. Mais avec les chaises qui sont là, c’est mieux de donner un coup de main pour les ranger plus vite. Allez, c’est fait. On se voit demain.

Preston Kambou

Nous contacter au +237695521762

2 Comments

  • Melaine Ndemafo
    Melaine Ndemafo
    22 octobre, 2024 at 5:09 am

    🥳🥳🥳🥳🥳🥳 Merci

    Reply
    • Preston Kambou
      Preston Kambou
      5 janvier, 2025 at 9:46 pm

      Merci.Bienvenue

      Reply

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