
Le texte que nous republi ONS ici a paru dans le journal LE MESSAGER de ce 05 FÉVRIER 2025. Il est intitulé « RAPPORT DE LA COMMISSIOIN MÉMOIRE J’ENRAGE »
Auteur, Gaston Kelman
Il y a deux ans et demi, il m’était très pénible d’entendre le président français déclarer sur les terres de son homologue et hôte camerounais, «JE vais créer une commission mixte des historiens français et camerounais… ». Monsieur Macron reléguait au rang de simple figurant le président Paul Biya dont le pays avait été meurtri par une guerre coloniale déclarée par le sien. Puis on est entré dans l’irrévérence quand il a décidé tout seul du choix des deux chefs de cette commission, côtés français et camerounais. Et ça a tourné à la pure galéjade, quand il a opté pour une historienne française et pour un chanteur camerounais, l’une chargée de l’aspect historique et l’autre de l’aspect artistique.
Je me demandais ce que l’art venait faire dans l’analyse d’une guerre coloniale bourrée de crimes contre l’humanité. L’art fait la guerre, peut-être. D’entrée de jeu, le ton était donné. Les atavismes ressurgissaient. Le maître était en visite dans les colonies. On eût compris que le général de Gaulle se comportât ainsi en 1958. Mais en 2022, c’était inattendu et indécent.
J’enrage ! Pour revenir à la guerre et à ce que l’on attendait de la France, souvenez-vous. Personnellement, je n’en attendis rien. Je n’ai pas besoin de voix étrangères pour célébrer Mpodol Ruben Um Nyobè et ses camarades. Je l’ai fait, je le fais, je le ferai jusqu’à mon dernier souffle. Néanmoins, pour ceux qui en attendaient quelque chose, nous étions partis sur l’idée de l’ouverture des archives nationales françaises, afin que les historiens puissent avoir accès à des données qui leur permettraient de faire leur travail. Il a été ensuite question d’une simple commission mémoire mise en place pour faire la lumière, «toute la lumière» sur le rôle de la France dans la lutte contre les indépendantistes au Cameroun. La partie camerounaise, derrière son président chanteur serait en charge du volet mémoriel et artistique.
Enfin, deux années plus tard, nous avons débouché sur un rapport dont le mérite, selon l’économiste et historien Pierre Buopda Kame est qu’il aura « contribué, par la démystification de ces fameuses archives françaises, à nous faire comprendre que l’écriture de notre Histoire politique n’est ni conditionnelle ni subordonnée à l’ouverture des archives d’un pays étranger ».
Je l’ai crié sur tous les tons, nous n’avons pas besoin des archives étrangères pour rendre hommage à nos héros et enseigner l’histoire à nos enfants. Pour ma part, j’ai tiré une autre leçon plus subliminale, plus existentielle de ce rapport. Il jette une lumière crue sur le chemin qui nous reste à parcourir. Alors, on peut se dire, la situation est grave. Il fait apparaître le degré d’aliénation de nos élites, leur naïveté, leur émotivité telle que présentée par Léopold Senghor. Face à ces faiblesses, se dresse un Occident, la France plus précisément dont Macron interprète le rôle d’entrée de jeu, comme je l’ai montré plus haut. On demeure dans la rationalité qu’elle a construite sur l’inégalité des races que chantait Bob Marley dans sa chanson intitulé War – la guerre, tiens ! -, cette rationalité qui autorise un cynisme perfide dont l’objectif dans ce travail aura été de maintenir le négationnisme et le révisionnisme qui sortent de tous les propos tenus par l’élite politique française. Cette élite n’a jamais pu considérer le colonialisme comme un crime contre l’humanité, mais plutôt une mission civilisatrice. Aujourd’hui, même après une guerre, il devient une histoire partagée.

La guerre d’indépendance, une histoire partagée.
La guerre d’indépendance, une histoire partagée.
Je le dirai tout net. Après le thème de la mission civilisatrice, l’histoire partagée, cette expression qui sous-tend aujourd’hui les relations entre le colonisateur et le colonisé, est l’une des déclarations les plus cyniques qu’il m’ait été donné d’entendre. Pour François Fillon, la colonisation était un partage de cultures. Pour beaucoup, elle était pleine de côtés positifs. Pour tous désormais, le colon partageait une histoire avec le colonisé. L’histoire resterait donc partagée même quand le colonisateur devient agresseur. Quand il commet des crimes contre l’humanité de type l’apartheid en Afrique du Sud ou la guerre impérialiste au Cameroun, au Vietnam ou en Algérie, on continue de parler d’histoire partagée. Dans l’adage qui parle de l’histoire de chasse racontée par le chasseur, on admet sans barguigner la partialité du chasseur qui s’arroge le bon rôle, la puissance, la victoire. Mais ici, on est dans le délire révisionniste. Le comble, on invite la proie à écrire l’histoire de la chasse à quatre mains, avec le chasseur, bien entendu, sous la guidance du chasseur, sous l’air de « tout va très bien Madame la marquise ». On ne saurait être plus cynique, plus pervers.
Au cours des recherches sur un livre collectif, nous avons recueilli des témoignages insoutenables. Pendant cette guerre, les troupes françaises ont vidé les villages bassa et bamiléké et déporté les populations le long des axes routiers. Une fois par mois, on avait le droit de retourner dans les champs lointains pour faire des provisions. Il fallait récolter le maximum de denrées pour tenir pendant un mois. Toutes les personnes valides de plus de cinq ans étaient mises à contribution. Un jour, ce garçon de trois ans est resté dans le village avec sa grand-mère paraplégique. On lui a donné un bout de manioc qu’il allait croquer pendant les longues heures d’absence des adultes, pour tromper sa faim. La grand-mère quant à elle, gisait sur un grabat à côté du feu. Comment est-elle tombée dans ce feu ! Pendant ses longues heures d’agonie, l’enfant de trois ans a entendu ses cris. Il a senti l’odeur acre, insoutenable de cet autodafé de l’horreur coloniale. Il a essayé de secourir l’aïeule qui rôtissait. Il a pleuré toutes les larmes de son corps et de son impuissance. On l’a trouvé hagard, assis à côté de la carcasse calcinée, tenant dans la main, un moignon de la main de la vieille femme. Le septuagénaire qu’i est devenu aujourd’hui n’a jamais oublié. Qui du côté français partagera cette histoire avec lui ? Quel enfant français de trois a en mémoire le fumet étouffant de sa grand-mère qui brûle pendant des heures ! J’exprime toujours ma colère quand j’entend un Camerounais ou un Sénégalais, parler de la traite négrière dont ils auraient souffert. La commune origine avec les descendants d’esclaves, l’unité colorielle, rien de tout cela ne me permettra de récupérer à mon compte le trauma hérité des champs de coton de Virginie ou du Mississipi. Même si la situation à Dizangué n’en était pas loin, je n’ai pas vécu l’apartheid modèle sud Africain. Et j’ai été triste que Mandela ait cru que cette histoire était partagée par les Blancs et les Noirs et qu’une inattendue commission qui mettrait les deux parties sur le même plan, résoudrait le trauma des uns et humaniserait les autres. Frederik de Klerk dernier président de l’apartheid et co-Nobel de Nelson Mandela, a quitté cette terre, convaincu de l supériorité de la race blanche. Soyons sérieux ! quel est le Français qui demande, comme un besoin vital, que l’on lui raconte la Guerre d’indépendance du Cameroun ? Lequel en a subi le trauma, au-delà de quelques pertes humaines du côté des envahisseurs qui auront laissé une veuve, des orphelins et des parents éplorés ?
Au Cameroun, même pas un exode massif de type pieds noirs. Alors, chers Camerounais, sortons de cette naïveté qui vous ferait croire que nous partageons cette histoire avec la France. Même sur le simple plan social, nous n’avons pas partagé un espace vécu commun du temps de la colonisation. Les colons avaient leurs écoles, leurs boutiques, leurs quartiers. Toute chose étant égale par ailleurs, le Juif ne partage point l’histoire de son génocide avec les Nazis. Les guerres du Vietnam et d’Irak ne sont pas des histoires partagées. Si j’étais à leur place, j’en voudrais aux Français. L’homme qui tient ces propos, c’est Max Bardet, ancien pilote d’hélicoptère de l’armée française, qui a été envoyé en mission au Cameroun entre 1962 et 1964. Il a la pudeur de ne pas parler d’histoire partagée. Un rapport insipide. Nous l’avons dit plus haut, la demande des historiens camerounais était l’ouverture des archives nationales françaises. Au bout du compte, nous avons eu un rapport. Bien des spécialistes se demandent, tout ça pour ça ! Voici ce qu’en pense l’historien Pierre Bouopda Kame. « Je fais partie de ceux qui considèrent que l’Histoire politique de notre pays n’est pas enfouie dans les archives de la France, du Royaume-Uni ou de l’Allemagne. La lecture de ce rapport me conforte dans l’idée que l’Histoire politique d’un pays n’est pas réductible à un agrégat de faits à exhumer. Aucune révélation nouvelle dans ce rapport, en dehors de celles des préférences idéologiques et politiques de leurs auteurs . Une grande déception, parce que les archives consultées ne sont pas annexées au rapport ni centralisées dans un site Internet accessible aux enseignants et aux chercheurs camerounais ». Le seul intérêt qu’il trouve à ce travail, il aura «contribué, par la démystification de ces fameuses archives françaises, à nous faire comprendre que l’écriture de notre Histoire politique n’est ni conditionnelle ni subordonnée à l’ouverture des archives d’un pays étranger. Malgré la communication importante qui entoure la publication de ce rapport chez nous et en France, je le reçois pour ce que j’en attendais : une contribution supplémentaire à la connaissance de l’Histoire politique de notre pays. Ce texte sera certainement un document précieux pour ceux qui apprécient la lecture de la littérature insipide des rapports administratifs. Il est indigeste pour ceux qui, comme moi, savourent avec gourmandise la lecture d’ouvrages d’histoire foisonnant de controverses épicées et interminables ». Le gars ne revendique aucun «panafricanisme» plus ou moins revanchard et militant.
En conclusion
En conclusion.
J’ai entendu un entretien télévisé du chanteur co-président Blick Bassy qui dirigeait le côté camerounais de ce travail dit de mémoire. Nous apprenons que la partie importante de son travail va commencer. Et de quoi s’agit-il ? Nous avons appris surpris, que grâce à ce rapport, va commencer ce qu’ils ont appelé « Les funérailles de la mémoire qui nous reconnecteront avec notre histoire, nos racines etc. ». Histoire toujours partagée ? Il aura fallu que le France donne le top départ pour que les Camerounais songent à sonner le démarrage des rituels d’exorcisme qui chez les bassa par exemple, s’accomplissent après les drames. Aliénation, quand tu nous tiens. On peut rire des propos de Monsieur Blick Bassy. Mais on ne rira pas de ceux du président de la république. Le coup de grâce est porté par Monsieur Paul Biya au cours de son allocution suite à la réception du rapport. J’aimerais tenir le conseiller débile qui a inspiré le discours inqualifiable par lequel le chef d’état a célébré le rapport de la commission mémoire et l’amitié entre le Cameroun et l’Afrique. Excellence, vos éloges à l’historienne Karine RAMONDI et l’artiste BLICK BASSY, je vous en laisse maître. Mais je vous sais trop fin lettré pour ignorer que ce travail n’apporte rien, absolument rien de nouveau dans la connaissance de notre histoire. Bien au contraire, il la travestit de part en part pour alléger les responsabilités de son commanditaire. Vous êtes trop cultivé pour ignorer les travaux d’Achille Mbembe, de Mongo Beti, de Gaston Donnat, de Thomas Deltombe, et de bien d’autres, plus ou moins connus. Selon vous, « Il fallait en arriver là et admettre ensemble cette catharsis entre la France et le Cameroun, deux pays amis, aux relations séculaires, plurielles et multiformes ». Monsieur le président, de grâce ! La diplomatie ne saurait exiger tant ! Certes vous êtes au sommet de l’état. Mais pensez-vous que cela vous autorise à jouer les psychanalystes funambules et à imposer à la victime une impensable catharsis avec son bourreau ? De quel trauma souffrirait donc le peuple français, à la suite de cette sale guerre ? Une ubuesque catharsis entre la victime et le bourreau n’a pas marché en Afrique du Sud, vous le savez aussi bien que moi. Comme si cela ne suffisait pas, après avoir maudit le passé, vous empuantissez l’avenir. J’enrage de lire ce rapport qui poursuit à peine plus élégamment le négationnisme de l’élite politique française. Comment peut-on écrire qu’à partir de l’indépendance, nous n’étions plus dans un rapport de vassalité mais plutôt de collaboration entre Amadou Ahidjo, le président camerounais et la France, chacun défendant ses intérêts, la France terre des droits de l’homme faisant alliance avec un individu contre son pays. Mais j’enrage d’entendre le président du Cameroun dire que ce prédigéré tiédasse, il nous appartient de l’enseigner « et surtout de vulgariser ces travaux méritoires de co-construction». Pitié pour mes pauvres petits-enfants. Ne leur faisons pas croire que nous attendions cette « co-construction », c’est-à-dire l’aval de la France commanditaire, pour leur apprendre que nos ancêtres sont nos héros et les victimes de cette même France. Pitié, Monsieur le président ! Ne me demandez pas de leur faire croire que nous attendions ce rapport pour entamer comme vous dites, « la mise en œuvre de ses conclusions, à travers l’élévation des lieux de mémoire et l’adoption de nouveaux programmes scolaires ». La somme des travaux réalisés à ce jour par les Camerounais et des Français comme Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Gaston Donnat est de loin plus riche, plus juste que ce rapport insipide. Ils auraient pu nous inspirer, mais nous attendions l’aval du maître. Quant à la « recherche scientifique » il vous aura échappé que « les archives consultées ne sont pas annexées au rapport ni centralisées dans un site Internet accessible aux enseignants et aux chercheurs camerounais ». Ce commentaire est d’un historien chevronné. Monsieur le Président, votre conclusion révèle toute la dimension émotionnelle du bon nègre définie par Léopold Senghor. Nous sommes en plein délire. Nous sommes dans une aliénation innommable et une naïveté condamnable. Vous poussez le cri, « Vive l’amitié entre la France et le Cameroun ! » Permettez-moi de vous dire que vous risquez d’être seul à parler d’amitié. Ceux qui nous ont légué leur vision du monde, affirment de la bouche du plus grand d’entre eux : «les états n’ont pas d’amis, seulement des intérêts ». Quel était le nôtre que ce rapport soit commandité et piloté par la France ! Une fois de plus, je crains que l’on ne se gondole dans les palais parisiens à propos de la naïveté des amis africains. Et à cause de vous Monsieur le président, j’enrage !
Un article de Gaston Kelman, paru Le Messager