« L’innocence de la Couronne » et « le parcours initiatique » : un duo dans la rude dualité cosmogonique

À l’IFC de Yaoundé, l’exposition « JYENWE, Ce qui nous reste » commissariée par Thierry Fouomene, a réuni du grand monde ce 8 Octobre 2024, autour des œuvres de 8 artistes d’horizons, de nationalités, de sensibilités, de démarches et de techniques artistiques différentes, qui un an plus tôt, en Novembre 2023 notamment, entraient en résidence à Bandjoun Station. L’ouverture se fait en musique avec la chanteuse Nicaise Teossock qui chante a capella en langue Ngiembon, une mélodie rythmée par des castagnettes.

Jyenwe est le fruit de cette résidence de création, organisée dans le cadre d’une collaboration entre l’ Institut Français du Cameroun ( IFC), l’Ambassade de France et Bandjoun Station. Moment de partage au coeur des traditions et culturelles ancestrales Baimileke, mais aussi du monde car Bandjoun Station est un centre d’art contemporain qui expose et accueille depuis sa création des oeuvres d’artistes venus de partout. JYNWE donne donc à voir une riche collection de créations auréolées de vibrations, d’énergies souvent contradictoires, mais très souvent complémentaires due à la rencontre certainement, mais de l’amour du vivant et de l’art surtout. Dans cet océan de talents, impossible de poser un regard global sur les oeuvres sans passer par une lecture des sous ensembles qui expriment une continuité, un désir de communication complémentaire. C’est ce que nous faisons ici avec les pièces L’innocence de la Couronne et le parcours initiatique, des artistes Beya Gille Gacha et Boris Nzebo,respectivement franco Camerounaise et Camerounais. Ces deux œuvres sont exposées côté à côte dans la deuxième salle de l’exposition suivant une scénographie qui invite au voyage, au partage et à l’exploration des méandres de soi, à l’exploration de ce monde ci et de celui d’après.

À gauche, Parcours initiatique de Boris Nzebo ; à droite l’innocence de la couronne de Beya Gille Gacha

I- Explorons les œuvres

Aussi bien l’innocence de la Couronne » que « le parcours initiatique » sont des œuvres complexes qui introduisent le visiteur dans une lecture double du réel. Elles suggèrent l’omniprésence du culturel, mais davantage du cultuel, ou si l’on veut des dimensions parallèles de la vie, de la dualité du monde qui intègre absolument une dimension visible et une autre invisible, sans que jamais l’un ne soit capable d’évoluer sereinement en solitaire.

1- « Le parcours initiatique« 

Image d’un initié qui a réussi le parcours

Le Parcours initiatique de Boris Nzebo au niveau de la scénographie est figuré par des bandes carrées de couleur noire, bleue, jaune, rouge et verte collées sur le plancher. Elles portes les inscriptions « famille », « grande famille », « chef supérieur », « premier notable », « deuxième notable », « chef supérieur » et « peuple » respectivement et dans un ordre ascendant. Ces bandes sont séparées d’une chaise de bois sculpté à trois pieds par une pincée de terre rouge jetée à même le plancher. Sur la chaise, une lampe repose. Derrière la chaise, comme une sorte de réserve de trophées, un grand carré rouge porte des masques peints aux motifs divers, tous représentatifs des attributs de la spiritualité et de la culture des grassfields. Tout au-dessus de tout, sur un espace à lui seul réservé, trône un chapeau traditionnel noble. C’est tout celà qui constitue le parcours initiatique auquel l’artiste invite le visiteur à travers une inscription imprimée et collée au début du parcours et où on peut lire : » Saute à pieds joints en suivant les étapes. Si tu rates, tu retournes au début. » Il s’agit d’une invite à reconquérir l’héritage ancestral qui veut que l’un des rites de passage à l’âge adulte chez le Bamileke soit ce rite de la chaise. La scénographie a voulu que cette pièce soit placée à l’entrée de la salle et suivie directement par « L’innocence de la couronne« . Fait du hasard? Nous n’allons voir plus bas.

2- « L’innocence de la couronne.« 

L’innocence de la couronne met en scène une petite fille à la quête de son héritage. À genou, face au miroir, elle tient entre les mains un coussin sur lequel repose une couronne d’or ou plutôt de bronze en forme de piège à loup. Autour d’elle, des éléments naturels et du répertoire de l’artiste donnent des indices sur la réponse de l’enfant. La note d’intention nous renseigne « elle est en plein Exorcisme personnel, à la croisée des découvertes scientifiques et empiriques quant à l’épigénétique et les savoirs ancestraux tels que le karma familial. La pièce amène à conscientiser en nous ce qui ne nous appartient pas mais que nous avons le devoir de guérir. »
L’innocence de la couronne sonne donc comme une invite au voyage, à un voyage mitoyen et complexe entre le visible et l’invisible, le sombre brouillé et le blanc cassé comme on peut le voir à travers les couleurs utilisées dans l’oeuvre qui est une sculpture perlée obtenue à partir de la fonte de la matière. Sous les genoux de la fillette une pièce de l’étoffe sacrée du Ndop, tissu initiatique utilisé chez les peuples du grand Ouest camerounais. Au dessus de sa tête, comme une épée, ou plutôt une couronne de Damoclès, pendent des branchages secs du laurier, retenus par trois fils comme une claie, ou comme pour annoncer la tridimensionnelalité de l’œuvre. Les feuilles de la même espèce jonchent le tapis de tissu blanc cassé dont de larges lamelles encadrent le tableau. Sur l’une des bandes, un bocal de verre, rempli d’eau et de feuilles sèches. Le choix des feuilles est tout, sauf anodin. Il est dit que la plupart des dernières forêts de lauriers ont visiblement disparu il y a environ 10 000 ans… On comprend ainsi la charge patrimoniale qui s’en dégage. Le regard de la fillette est figé, comme perdu. Est elle perdue comme ce regard vague ? Va-t-elle se retrouver ?

L’innocence de la Couronne » et « le parcours initiatique » : quelles vibrations en partage?

 » L’innocence de la Couronne » et « le parcours initiatique » peuvent se lire comme deux œuvres dont le cheminement de l’une introduit ou complète celle de l’autre. La question de l’héritage et de l’identité se pose en introduction par Boris Nzebo dont le Parcours Initiatique rappelle l’importance de l’appartenance à un lieu , l’importance et la prégnance de l’ancestralité vers laquelle il faut aller. Nzebo ouvre donc la porte au voyage, au voyage initiatique qui s’annonce périlleux car il n’est pas linéaire : « Si tu rates, tu retournes au début. ». Mais réussir suffit il? Semble être la réplique donnée par l’innocence de la couronne dans son déploiement.

En effet, avoir bravé les étapes du parcours ne suffit pas si on lit entre les lignes de L’innocence de la Couronne , il faut encore faire face à un dilemme : celui de l’identification du jeune, ou de la jeune fille, à ses ancêtres,dans un labyrinthe dont elle ne dispose pas de toutes les clés. Face à la couronne, le tiraillement et le questionnement s’imposent. Il faut se regarder attentivement pour essayer de déceler les éléments de compréhension de l’héritage. C’est en celà que la présence du miroir est intéressante car, ainsi que dit l’artiste,  » face au miroir, outil symbolique de la discussion à soi même et portail magique vers le monde des esprits,[l’oeuvre] questionne la notion d’héritage : doit on tout prendre de nos parents alors que certaines transmissions ont des allures de pièges ? »

Beya Gille Gacha nous renseigne que ses premières recherches sur le karma familial et la transmission intergénérationnelle des
traumas et l’épigénétique datent de 2016 : « Elles ne m’ont pas quitté depuis et m’accompagnent
dans ma série des Orants, au sein de laquelle cette nouvelle sculpture prend place comme
le début d’une arborescence au niveau de l’histoire de la petite fille de cette série. « 

L’innocence de la couronne, qu’elle nomme aussi Orant #2-1 , incarne le droit au choix de l’âme et de l’enfant à ce qui est bon à son futur,
sa liberté et sa construction, « et tente d’exorciser ce qui ne lui sert pas mais lui a été transmis par d’autres. »

C’est donc une quête identitaire, et on dira un questionnement sur l’identité à caution, symbolisée par ce piège à loup transformé en couronne de bronze. L’artiste s’interroge : « n’est ce pas un piège tendu que d’offrir à notre descendance par notre manière d’être au monde, ce que nous avons refusé de guérir nous-même et qui noircit notre âme ? ». Une question rhétorique qui invite à repenser les notions d’héritage et à revoir le rôle de parent, le reconsidérer en ayant à l’esprit que l’enfant devra suivre nos pas.


Plus loin, l’œuvre de Beya s’incruste dans notre contemporanéité de manière plus active en déplorant la dose de noirceur qui la caractérise et qui borne l’homme à s’automutiler au final :  » Sommes-nous d’ailleurs encore capable de voir notre noirceur ? » L’artiste dénonce cette « violence envers soi-même
et envers les autres que nous montrons par l’exemple à nos enfants, et que nous targuons
parfois comme un trophée de guerre devrait mourir avec nous. « 

La couronne brandit devient donc « une fausse couronne » si elle ne peut intégrer les éléments de la vertu, de la remise en question permanente, de l’humanité.

L’innocence de la Couronne« , « Le parcours initiatique » comme les autres pièces de « Njyenwe, ce qui nous reste« , transportent le visiteur vers d’autres dimensions de l’art. Les artistes exposés ont chacun une présence, une personnalité, une démarche artistique qui amènent à chaque fois à s’arrêter, à s’émerveiller certes, mais surtout à s’interroger. En plus des deux artistes cités, vous découvrirez les riches univers artistiques de Winnie Songmene, Bienvenue Fotso, Arnold Fokam, Julie Hega, Adeline Flaun, et Maria Wildeis. L’exposition est à voir à l’IFC de Yaoundé jusqu’au 15 Novembre 2024. Allez y faire votre propre idée et ramener des toiles pour votre collection personnelle.

Preston Kambou

Pour nous contacter +237695521762

Suivez-nous aussi sur YouTube https://youtube.com/@diversalites?si=YQpyvXLqrqlqs5kq

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *