
Kwami Da Costa est un artiste Togolais né un samedi dans une famille modeste bénino-togolaise. Du fait de son appartenance à deux patries, il incarne dès son premier cri une double identité. Il est ainsi un passeur de frontières, le porteur de cultures et d’identités multiples. Même son prénom Kwami, prénom porté par tous ceux qui chez lui sont nés un samedi, traduit déjà cette liberté avec les exigences d’une rationalité qui de plus en plus montre ses limites. On sait que le weekend est moment de célébration et donc de liberté. Son prénom est ainsi un marqueur de son identité transfrontalière, de son identité de transit, de son identité qui refuse le cloison et préfère l’ouverture. Quand il est jeune, Kwami est inscrit à l’école formelle. Cependant, il abandonne très tôt ses études pour se consacrer à l’apprentissage de la menuiserie. Il est confié à Maître Sambiani Kassan, un formateur qui malgré son infirmité, lui garantit une excellente formation.Il a ainsi passé des années à apprendre l’ameublement et la charpenterie. Ce séjour quoique très riche en enseignements, ne convient pas à notre homme. Le jeune Kwami sent que sa place est ailleurs. La menuiserie ce n’est vraiment pas pour celui dont le nom, Da Costa, signifie « l’homme de la côte » (Da signifie « l’homme » et Costa « la côte »).Kwami est en vérité un grand rêveur et caresse chaque jour, même assis en classe ou en compagnie de son maître menuisier, le rêve de voyager, non seulement de manière physique, mais surtout de manière onirique, car il sait que l’art permet ces voyages sans limite. Il veut explorer de nouveaux horizons et comprendre la réalité qui se cache derrière les apparences, franchir les frontières du rationnellement possible pour découvrir autre chose. Au fond de lui, une voix l’appelle, le sommant de s’engager dans la voie de l’art. Il finit par écouter cet appel qui l’incite à explorer d’autres facettes de lui-même et du monde à travers la création artistique.En 2001, Kwami Da Costa intègre un atelier de peinture et peut alors commencer à travailler la matière, à peindre, à créer des œuvres qui traduisent son univers, à représenter les présences et les absences, à créer dans une philosophie centrée sur la quête identitaire, une kyrielle d’oeuvres d’art. Kwami travaille la matière, crée des installations, réalise des performances, peint, dessine, sculpte, le tout en explorant des thèmes liés à la quête identitaire.L’artiste affirme s’être inspiré des gribouillages de sa fille pour créer ce qui est devenu la matrice de son art. « Quand ma jeune fille ramène des gribouillages de l’école, je vois dans leurs traits hésitants, des similitudes avec les cordons ombilicaux. J’y vois un travail sur la quête identitaire, mais surtout une représentation de l’univers du placenta et de la vie. Je me lance alors dans un projet qui me permet de réaliser mille dessins inspirés par ces gribouillages d’enfant. En vérité, face à ces créations innocentes, je suis saisi par un esprit, entraîné dans une sorte de transe. Alors j’explore, par l’art, les confins d’une réalité qui n’est pas forcément rationnelle au sens cartésien, mais qui a tout son sens. Il faut d’ailleurs le dire, le cartésianisme n’est pas le seul paradigme. »
Kwami, à travers son art, revisite la culture africaine en puisant dans les racines profondes de sa terre natale du Togo, ainsi que dans sa réalité béninoise. Il s’intéresse notamment au placenta et aux rituels d’attribution des noms. « J’ai observé que chez les Peda, une ethnie du sud du Togo et du Bénin, avant de donner le nom à l’enfant, on pratique des scarifications sur son corps et l’on fait tout un ensemble de rites. Cela témoigne du lien que ce peuple a avec l’invisible. La vie n’étant en vérité qu’une partie du parcours et la mort, puis la réincarnation, les deux autres moitiés. J’ai donc décidé d’explorer et de représenter tout cela à travers mon travail. Il y a aussi la pratique du Fa, c’est-à-dire la consultation de l’oracle, qui structure les activités et encadre la plupart des actions dans la vie quotidienne des Togolais. C’est un peu de tout cela qui nourrit mon art. J’appréhende mon art comme un travail de reconnexion, d’exploration des racines culturelles en vue de leur respiration, de leur préservation », explique Kwami Da Costa.Il mentionne également sa rencontre avec Ludovic Fadairo, dont le nom signifie « sauvé par le Fa ». Cette rencontre revêt une signification particulière à plusieurs égards. En fait, Fadairo est un artiste rigoureux et profondément opposé à la facilité et aux clichés de la création, qui, pour beaucoup de jeunes artistes béninois, est le maître et le modèle. Fadairo est d’ailleurs parmi les tout premiers peintres du continent à avoir rejeté les techniques conventionnelles apprises dans les écoles d’art, ayant rapidement pris conscience de son appartenance à une terre, l’Afrique, gardienne des richesses culturelles du monde, il a opéré un admirable retour aux sources. La rencontre avec ce patriarche a profondément marqué Kwami et son œuvre. « Je peux dire que j’ai rencontré Ludovic Fadaïro, un artiste béninois qui travaille la matière tout comme moi, et que par ses conseils, il a changé beaucoup de choses dans ma pratique artistique. L’histoire de notre rencontre est admirable. Il a remarqué mes œuvres dans une galerie, ce qui est déjà un privilège, et il a demandé à me rencontrer. Au départ, je ne savais pas qui il était, mais j’ai décidé d’aller le voir. Ce voyage m’a pris trois jours et trois nuits. Le trois est il fortuit ou symbolique ? Je ne saurais le dire. Mais quand je suis arrivé chez le maître, il m’a reçu et m’a dit : « Il faut continuer à travailler la matière. Fais-le avec assiduité, avec ton âme. » Le privilège que j’ai eu de séjourner avec lui pendant un moment est spécial pour moi. « Je découvre lors de mon passage un homme travailleur, discipliné, organisé et déterminé. Je le vois souvent se lever à 3 heures du matin pour travailler patiemment et avec détermination dans son atelier. Ce sont des choses qui vous donnent de la force et qui renforcent votre passion. »Depuis, Kwami travaille la matière et ne s’en lasse pas. Il voit en son travail une base éducative qui offre des outils pour entamer ou poursuivre une quête identitaire, tout en questionnant la réalité existentielle en abordant les problématiques qui y sont liées. « Pour moi, l’art est un moyen d’exprimer mes désirs intérieurs et d’aborder la question de l’identité. L’un des thèmes centraux de mon travail est celui de l’identité. Une partie de mon art est consacrée à la recherche sur les rites entourant l’enterrement du placenta au Togo. »
Cela correspond à une coutume traditionnelle au Togo, ainsi que dans toute l’Afrique. En effet, au Togo, le placenta est aussi sacré que l’enfant lui-même. Il est considéré comme le frère jumeau du nouveau-né, et par conséquent, détient une valeur très importante au sein de la famille. Dans le respect des traditions, le placenta doit être enterré dans un endroit où personne ne passe, pour éviter tout mauvais regard qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur la vie de l’enfant. Lors de l’enterrement du placenta, l’hysope, appelée Kpatima en Ewe – une langue parlée par une large majorité des Togolais, est utilisé. Le Kpatima, ce sont des feuilles purificatrices utilisées lors de ce rite qui a d’autres aspects que l’on n’exposera pas.Kwami Da Costa a depuis lors fait du chemin. Il a participé à l’Exposition sans titre au Palais de Lomé, à l’expositionDig where you stand au Palais de Lomé organisé par AAF Lagos, a fait une Résidence de création à Bandjoun Station organisé par atelier Ati, a exposé à Exposition off de la biennale de Dakar Tant que les arbres s’enracineront dans la terre. Ses œuvres sont exposées à la galerie Arts Vagabond au Bénin. Notons que Kwami Da Costa est détenteur de2 prix ONUSIDA du programme des Nations unies au Togo.Kwami Da Costa est un artiste qui explore et se développe. Il est aujourd’hui sur le chemin et espère que par son art, il réussira à faire vivre la culture et contribuera à pérenniser certaines pratiques ancestrales et fondatrices africaines.
Preston Kambou
