Quand l’optionnel devient l’unique option : l’incroyable itinéraire du Togolais Kokou Ekouagou

L’art d’Ekouagou raconte l’histoire des peuples afin de mieux faire connaître chacun à l’autre. »

Né à Lomé en 1979, Kokou Ekouagou est un artiste plasticien Togolais qui vit et travaille à Lomé.

Son premier contact avec l’art s’est fait assez prématurément, grâce aux activités de coloriage et de mélange de couleurs auxquelles le soumettaient ses enseignantes à l’école maternelle. Il appartient à une génération dont il est aujourd’hui nostalgique. Il a connu une période où la qualité de l’éducation était au cœur des préoccupations des gouvernements qui avaient une politique éducative adéquate. Les enseignants exerçaient dans un certain confort qui leur permettait un suivi mieux élaboré et consciencieux.

C’est dans cette atmosphère que baigne le jeune Kokou. L’amour des couleurs et des formes représentées naît de sa rencontre inopinée avec un monde imagé qui devient pour lui le moyen d’expression privilégié.
La flamme est née. Elle sera ravivée et entretenue par la tenue d’un cahier de chants que Kokou Ekouagou se plaît à embellir de frises et de fleurs qu’il pense et dessine. Le temps passe et il continue de côtoyer le dessin. Il réalise, sans enjeu apparent, des fleurs dont la réussite lui arrache à chaque fois un sourire, disons narcissique.

Pour séduire ou simplement impressionner ses camarades filles, Kokou dessine de plus en plus de fleurs, des roses en priorité, qu’il leur offre dans l’espoir d’un sourire, d’un regard.« 

Toutefois, c’est à la puberté qu’arrive le grand déclic. Pour séduire ou simplement impressionner ses camarades filles, Kokou dessine des fleurs, des roses en priorité, qu’il leur offre dans l’espoir d’un sourire, d’un regard. Le temps passe et alors qu’il croit être déjà passé maître dans l’art du dessin, il fait une rencontre qui, à plusieurs égards, sera déterminante pour la suite. Il est en classe de seconde quand en début d’année, arrive Mme Apedoh, une professeure de dessin «occidentale mariée à un Togolais » précise l’artiste.

Il est inscrit en série scientifique, une série qui, selon l’opinion, ne prédestine pas à une carrière d’artiste. »

L’enseignante est très rigoureuse. « Le dessin n’est dans le cursus qu’une matière facultative que je fais en même temps que le cours de musique. Mme Apedoh nous impose une discipline de travail qui, franchement, nous agace au départ. Nous sommes jeunes, vous le savez, et comme tous les jeunes, nous recevons toute forme d’autorité comme une note dissonante. » En plus, la dame est intransigeante sur l’assiduité : « Si vous êtes absents à mon cours, votre note ne dépassera pas la barre des 9/20 ! » martèle-t-elle souvent.
Ce sera dans ce climat de rigueur que Kokou forgera ses meilleures armes, du moins pour ce qui est de la discipline et de la persévérance. « Mme Apedoh nous fait faire les mêmes figures, les mêmes schémas plusieurs fois. Et quand on se plaint, elle nous fait savoir que ce n’est pas assez bon tant que ce n’est pas parfait ». Ekouagou va se rebeller comme les autres. Mais poussé par le désir de plaire et, voyant dans le dessin une bonne arme de séduction, il s’applique et finit régulièrement parmi les meilleurs.
Ekouagou n’a pas oublié ce jour où il fut pris en flagrant délit de complicité de tricherie. Il aidait une demoiselle de sa classe à réaliser son dessin lors d’un contrôle. S’il fait fi de la punition il retient qu’il compris ce jour là que la tricherie n’est pas une valeur. Et depuis, il l’a en horreur.
S’il avait l’avantage du talent, c’est peut-être aussi cette sensibilité du cœur aux charmes des créatures féminines, qui l’aura le plus boosté : « Au collège, dessiner était encore une passion, surtout dessiner dans nos cahiers de chansons. Et nous organisions entre nous de réels concours de dessin. Et nous comparions les fleurs que nous réalisions alors pour plaire à ces âmes féminines dont nous voulions conquérir les cœurs. Et les discussions s’organisaient autour de qui avait fait le plus beau dessin. On s’ applaudissait et c’était assez pour être satisfait. C’est fou comment on se satisfait de si peu quand on est jeune. Et c’est fou comment le temps nous endurcit de tout,» déclare-t-il, nostalgique.
Malgré tout, Kokou n’envisage pas déjà de faire carrière dans l’art. Il est inscrit en série scientifique, une série qui, selon l’opinion, ne prédestine pas à une carrière d’artiste. Sa réalité existentielle est rugueuse et il lui semble que l’art ne puisse pas l’aider à l’aplanir.

Quand la réalité frappe, la passion entre en doute existentiel

Quand Kokou Ekouagou obtient son baccalauréat, Série C (sciences, mathématiques et physiques) au Lycée de Tokoin, il a en même temps la grâce de décrocher son diplôme des Arts (option dessin abstrait et figuratif, conception publicitaire) à Arts Modesty à Lomé. Une coïncidence presque prémonitoire fait que Kokou passe ses vacances chez son oncle, qu’il visitait déjà, mais avec qui il va faire plus d’activités maintenant qu’il a fini le bac. Cet oncle se trouve être l’artiste plasticien et curateur de renom (ou plutôt travailleur culturel comme il se définit) Kisito Assangni. Ce dernier va lui mettre le pied à l’étrier. Le jeune Kokou regarde travailler son parent qu’il accompagne à tous les événements culturels auxquels il est invité. Mieux, l’oncle requiert souvent l’avis du neveu sur un tableau, une toile, une couleur, une fresque, une sculpture, une réalisation artistique quelconque. Naïvement, et sans conviction aucune, Kokou répond.
Mais si le jeune apprenti est admiratif du travail de son oncle, il demeure dubitatif. Dans sa tête trône la question existentielle, ultime pour lui : « Comment vivre de cette passion qui, selon tout le monde, n’est pas un vrai travail ? » Il est ballotté entre la passion et le réel, même si ses faits et gestes traduisent son désir dormant d’être dans le cercle artistique.

En effet, après le baccalauréat, Kokou postule pour une place d’étudiant à l’école des arts de l’Université Panthéon-Sorbonne en France. Sa candidature est reçue. Cependant, il doit payer une caution qu’il n’a pas. C’est ainsi qu’il prend une inscription à l’Université de Lomé au Togo où il étudie les physiques et la chimie à la Faculté des Sciences. En même temps, il suit une formation en devis estimatifs et quantitatifs du Bâtiment à Mondo Sarl. Ce choix multiple est motivé par l’idée qu’un poste d’enseignant, ou d’ingénieu, pourrait lui offrir une sécurité financière et l’aider à payer ses factures, particulièrement à une époque de sa vie où ses fins de mois sont souvent difficiles.

Pour s’évader de son quotidien difficile, Kokou dessine pendant ses heures creuses. C’est une manière pour lui de trouver un refuge dans l’art, de dompter ses démons. C’est ainsi que ses camarades de fac l’encouragent à franchir le cap : « Mais pourquoi ne t’inscrirais-tu pas aux beaux-arts ? Tu dessines tellement bien », lui lancent-ils souvent. Il voudrait tant le faire. Mais le manque d’assurance et le poids des responsabilités familiales l’en dissuadent. Au bout de deux ans, l’augmentation des frais d’université et la modicité de sa bourse l’obligent à quitter la fac.

Certaines galères sont salvatrices

Kokou a quitté l’amphithéâtre. Il traîne avec son oncle et côtoie les milieux de l’art. Il a déjà une vague impression de ce que l’art pourrait devenir son seul allié. Pour cela, il éprouve le besoin d’affûter ses armes. C’est ainsi qu’il s’applique et s’implique dans les activités artistiques. En 2015, notre homme s’intéresse au Management Culturel et suit une formation en gestion de projets artistiques et culturels, en gestion d’équipes, recherche de financements, marketing des arts et de la culture (relations publiques) au Goethe-Institut de Lomé. Mais notons qu’entre-temps aussi, sa disponibilité a encouragé Kisito, son oncle, qui a toujours voulu transmettre, à mieux l’accompagner. « J’aidais un de mes oncles, qui lui aussi est artiste plasticien, dans son atelier de création. Il avait toujours vu en moi cette prédisposition innée pour la création. Il me donna alors les bases nécessaires pour y arriver. Sous son impulsion, j’ai approfondi et développé mon modeste et embryonnaire savoir en techniques de peinture. Et c’est à partir de ce moment que j’ai commencé ma totale immersion dans l’art, et commencé à produire.

EKOUAGOU ou une esthétique de la circulation Identitaire

Quand Kokou Ekouagou décide de se consacrer à l’art, le but premier est de traduire en peintures, en dessins et autres performances ses frustrations face à la vie. Avec le temps, il ouvre le champ et structure sa démarche artistique autour de la quête identitaire, l’envie d’informer et de partager des idées. Il est dans une logique de circulation, d’exploration des identités multiples et cosmopolites. « J’ai réalisé qu’à travers l’art, j’avais la possibilité de construire des ponts entre les cultures pour arriver à créer un environnement magique et vivable. Je suis pour une dynamique dans laquelle l’art ne sera plus simplement une vision passive pour la plupart des personnes, mais un mode de fonctionnement qui participe au croisement croissant et pacifique des populations à travers le monde. Je voudrais changer la perception du public en remettant en question les fausses idées reçues.» Cette quête de changement se voit chez Ekouagou à travers sa pratique transmédiale. Son art englobe la peinture, la sculpture, la photographie, la vidéo, la performance et l’installation. Il développe par ces différents moyens des stratégies multiculturelles et même multiculturelles du vivre-ensemble. Dans une posture de décentrement, Ekouagou questionne les notions d’identité et d’affect et propose une approche critique des récits historiques dominants, suivant une esthétique du transit. « Mes projets de recherche actuels sont motivés par une volonté de réfléchir sur les classifications et les constructions de la réalité quotidienne. Ce qui m’importe vraiment, c’est l’aspect « MULTICULTURE« , pour mettre l’accent sur le brassage culturel. C’est important pour moi que mes œuvres soient perçues par toute personne, de toute culture, de la même façon au sens graphique et métaphysique. » soutient-il. Cette orientation peut aussi se comprendre par les influences auxquelles il est exposé. Kokou Ekouagou est admiratif des travaux de Kisito Assangni, Pablo Picasso, Paul Ahyi…

Toutes les cultures communiquent et se communiquent

EKOUAGOU se positionne comme l’artiste du juste milieu. S’il peint depuis Lomé, il sait qu’il lui sera impossible de renfermer son art dans un carcan essentialiste à cette ère de la mondialisation où le monde n’est plus que circulation et transfrontiérisme. « L’Art Nègre a eu des contacts, des échanges et des influences réciproques avec les arts des autres parties du monde à travers l’aventure des siècles. Je prends acte de ces contacts, de ces échanges et de ces influences réciproques pour asseoir mon art dans une perspective universaliste car selon moi, toutes les cultures communiquent et s’entremêlent. Par mon travail et mon concept, j’élabore des œuvres d’art créées à partir de la construction, de la perception et de la combinaison d’horizons contradictoires sur des sujets tels que : la paix, la condition des femmes, le multiculturalisme, le destin de l’Afrique, la vie et le but de l’existence humaine. Ainsi, j’espère qu’à travers mes œuvres d’art, chaque culture puisse se reconnaître. Cette entreprise, je la mène en combinant des systèmes de références et de symboles pour créer l’harmonie mais aussi les dissonances. En travaillant sur « L’IDENTITÉ« , je suis inspiré par les problèmes d’identité rencontrés à tous les niveaux car je considère que l’identité est un phénomène multidimensionnel. Si l’on conçoit l’identité à travers le prisme culturel, on envisage une lecture médiane de la façon dont l’individu se situe par rapport aux éléments de sa propre culture et par rapport aux différences culturelles qu’il perçoit. »

L’art d’Ekouagou raconte l’histoire des peuples afin de mieux faire connaître chacun à l’autre. Dans le contexte de la mondialisation, il pense que questionner l’état de l’identité serait le bon moyen de poser les jalons d’une réunification par le biais d’une identité migratoire qui intègre l’aspect physiologique, mental, et idéologique.Les œuvres de Kokou Ekouagou sont un canal d’information, un moyen de proposer une éducation libérale et de partager les idées dans une perspective d’écoute de l’autre.

Œuvres et projets artistiques d’Ekouagou

Ekouagou a exposé au Torrance Art Museum à Los Angeles ; au Musée Ben Uri à Londres ; au ZKM à Karlsruhe ; à la Galerie Sobering à Paris ; à la Biennale de Marrakech ; au Guangzhou Live en Chine ; au HANGAR de Lisbonne, entre autres.Ses œuvres figurent dans de grandes collections telles que le TORRANCE ART MUSEUM aux ÉTATS-UNIS ; la Collection Luciano Benetton en Italie ; le Musée Lu.C.C.A.- LUCCA CENTER OF CONTEMPORARY ART à Lucca en Italie ; la Collection du collège Jacques Cartier constituée par Jacques Marcel à Chauny en France …Parmi ses œuvres, quelques-unes des meilleures selon la critique sont :Les peintures NATURE et HEBIESSO

HEBIESSO représente le dieu du tonnerre, cette divinité qui rétablit l’ordre en frappant fort ou en foudroyant quand il le faut. Cette œuvre établit l’importance de la rectitude morale et de la rigueur.

NATURE projette une lecture dualiste de la nature humaine et de la mère Nature.

On compte aussi la sculpture SEDUCER (Le Séducteur) qui vise à démasquer, dans le sens de dépouiller des artifices, afin de regarder la conscience loin de l’égoïsme. Elle propose une marche vers la liberté véritable qui ne peut se construire que loin de l’hypocrisie : il faut enlever le masque pour mieux nous faire connaître.On comptera les performances RESURRECTION et SANCTIFICATION. La première, RESURRECTION, utilise le corps de l’Artiste dans un acte rituel pour oser une libération. La performance est un mélange d’éléments politiques, sacrés et personnels qui cherche à vivifier l’esprit, initier la critique et l’éveil. À travers le langage visuel, RESURRECTION reflète notre société et permet au spectateur d’en saisir les nuances pour effectuer la nécessaire introspection menant à sa renaissance et donc à sa résurrection.La performance SANCTIFICATION est un hommage à la volonté, à l’effort et à tout ce qui se passe avant la résolution. C’est une anarchie physique qui provoque la matérialité, renverse la logique et agit comme une ode aux forces invisibles et au désir intérieur. Elle célèbre la façon dont nous sommes façonnés par ce que nous surmontons et montre comment la béatitude peut naître des pires difficultés.Vous retrouverez l’Atelier Ekouagou à Agoè-Kové, dans le Grand Lomé au Togo.

Preston Kambou

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Nous accompagnons les artistes porteurs du désir de transcender les barrières pour créer une nouvelle région du monde orientée vers l’en-commun, le diversel encore mieux que l’universel.

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