
Mon année littéraire démarre par une pièce de théâtre Zeukap. Sur 3 actes et 81 pages, Félix Njandja balade le lecteur au cœur d’une magnifique histoire de préservation du patrimoine ancestral, de reconnexion avec soi, de quête d’une identité perdue entre tensions , errements, anathèmes à déconstruire, impossibilité à penser une authenticité en autarcie. C’est un voyage au plus grand tréfonds d’une culture qui finalement se cherche au cœur des échanges, des mélanges.
Pourquoi le choix de cette pièce ? Simplement , je pense, parce que, dans le but de contribuer à porter haut le flambeau de la culture, j’ai pris part à la troisième édition du PIKNIK THÉÂTRE à Bangoua du 26 au 28 Décembre 2024. Bangoua est un village du département du NDE dans l’Ouest Cameroun.
À l’honneur de ce Piknik Théâtre, Alex David Longang ( metteur en scène) et Felix Njandja ( dramaturge, romancier, poète…). Tous deux originaires de Bangoua.
Le thème de cette édition étant «théâtre, langue et langage», son illustration directe a été la mise en scène, en langue locale, de l’une des scènes de Zeukap. En regardant la scène, le désir d’en savoir davantage m’a envahi. Et puisque je déteste être envahi par un désir et ne pas l’assouvir au plus vite, je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre mon temps et de dévorer cette belle galette littéraire. Je m’en réjouis d’ailleurs.
Pour votre plaisir , je vais situer le point de départ de cette partie de l’aventure en reprécisant une ou deux choses. Quand je tombe sur le thème Théâtre, langue et langage, je me dis, en voilà un d’authentique. Il soulève une problématique actuelle, celle de la langue du théâtre chez nous ( entendez au Cameroun ou en Afrique, mais surtout dans les pays anciennement colonisés).
Alors que j’organise encore dans mon esprit les mots à mettre sur cette préoccupation, Stéphane Tchonang , promoteur de Piknik Théâtre tient un discours le 28 Décembre dont les mots retentissent comme le grand appel.
Il interroge : » en quelle langue jouons-nous sur scène au Cameroun ? Pouvons-nous véritablement parler d’un théâtre camerounais ou [devons-nous nous limiter à reconnaître] plutôt [un] prolongement du théâtre français ou anglais . Ne devons-nous pas construire des théâtres dans nos communautés où l’on jouerait en nos langues nationales ??«
À la suite, c’est une clarification conceptuelle qui met la langue au cœur du jeu, au coeur de la scène en ce qu’elle est le véhicule de la culture. « Le langage scénique fait référence à la scénographie, au son et à la lumière, aux costumes et accessoires, au maquillage et effets spéciaux. Mais surtout à la langue. Nos langues nationales font partie de notre patrimoine immatériel. Elle mérite que le théâtre puisse contribuer à sa transmission. »

Alors ayant vécu en immersion ce beau spectacle, ayant vu le roi des Bangoua SM Djampou Tchatchouang honorer le théâtre, honorer la culture, en donnant ipso facto un titre de notabilité à l’un de ses fils, donc en offrant un Zeukap ( le titre de Mbeu’mveh à David Longang), j’ai voulu pousser plus loin ma curiosité et découvrir même par le truchement de l’illusion de la vérité, la vérité du Zeukap.
Félix Njandja avait déjà fait le job, je n’ai eu qu’à lire.

Zeukap est une pièce de théâtre à trois actes dont la trame est construite sur le désir d’un jeune BANGOUA de renouer avec sa tradition. Son nom? Pipi. Drôle de patronyme pour un acteur qui a la lourde tâche de porter la voix et la voie de la culture et des traditions. Pipi sonne en effet comme un pseudonyme. Pourtant… Oui pourtant à bien regarder, le fond comme la forme y tienne. Ce jeune en tant que fils de roturier, ne peut revendiquer un nom car le nom se mérite et alors se donne par l’autorité suprême, le garant des traditions, le Chef Supérieur. Et Pipi justement est sans nom. Il porte ces deux syllabes comme un vêtement d’emprunt duquel il doit se défaire pour mériter un nom, gage du respect des siens.

Le jeune homme a fait ses études en Occident où avec Clémence, il s’est marié sous le régime monogamique. Il est homme de bonne situation qui vit et travaille à Yaoundé. Haut fonctionnaire , il occupe un bon poste au Ministère de la fonction publique.
Professionnellement, il a tout accompli. Pourtant, il ressent en lui comme un vide, il a comme un sentiment de l’inachevé. Pour être « quelqu’un » , il doit avoir un Zeukap, c’est à dire un titre de notabilité, une distinction honorifique.
Cependant, en dehors de son amour déclaré pour « sa tradition », il ne sait rien de ses racines. Il ignore tout du processus qui conduit à l’enoblissement.
Il se dit même qu’il suffirait de demander un Zeukap pour l’obtenir. Il ignore par exemple que du temps de Menkap Soufo, le 1er Conseiller du roi, il fallait être meilleur en quelque chose pour que le chef dans sa discrétion octroie un titre au digne fils. Menkap Soufo a offert 10 peaux de Panthères et 50 défenses d’éléphants au Chef pour mériter son titre. Il a, pour ainsi dire, servi sa communauté. Pipi est disposé à apprendre et est auprès des bons maîtres qui finiront par lui montrer le chemin. Il faut avoir posé une action de grande valeur pour le village pour espérer avoir un Zeukap. Il faut avoir un terrain, Construire une maison qui attire les passants, contribuer de manière significative à l’édification du village pour que le Chef, de manière discrétionnaire, décide de vous anoblir.
Pipi désire ce titre et est même sur la bonne voie pour l’obtenir. Seulement, il faut pour cela être polygame car un notable qui a une ou deux femmes seulement, n’a pas droit à la parole : il est d’ailleurs considéré comme un célibataire. Et Menkap Soufo le montre bien, lui qui malgré ses trois femmes ( Tchouonto, Metock et Ma’a Ngoutié ), cherche à prendre une quatrième.
Pipi en discute avec Clémence qui refuse de faire preuve de clémence devant la proposition. Une autre condition est celle d’avoir une maîtrise des us et coutumes. Le temps est court et Pipi ne veut pas attendre . Il suit le rythme de la contemporanéité là où la patience est la base. Finalement, il ne passe pas le test . Son erreur fatale est sa non-maîtrise de la règle élémentaire de courtoisie devant le chef.
Il ignore que chez les Bangoua on ne tend pas la main au chef. Dans une scène où il lui est demandé de simuler sa salutation au chef, il tend la main, ce qui est un sacrilège.
Les thèmes sont nombreux qui permettent de plonger le lecteur dans la culture Bangoua : polygamie de l’intérieur et loin des clichés, tradition face aux églises importées, démocratie, marchandisation du pouvoir, préservation du patrimoine, tout est conjugué pour donner au lecteur un bon bouillon de culture et de tradition aux prises avec une contemporanéité bruyante.
Le dramaturge réussit cependant à traiter d’une problématique Centrale, celle de la culture et de l’identité sans tomber dans le piège du repli.
Je me suis passionné à lire cette pièce. À vous le tour..
Preston Kambou
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